mercredi 21 février 2018

Roadmaps 2018


La conférence Retail Project organisée par le Groupe Diamart la semaine dernière a mis en évidence trois raisons d’espérer et 3 urgences.

3 raisons d’espérer :
La vitalité du retail français, qui innove enfin. Les concepts hybrides se multiplient (cf les deux inventeurs présents au Retail Project : Franck Millet pour Otop, et Paul Morlet pour Lunettes pour tous)
La clarté des partis pris des grands acteurs : sérénité des Mousquetaires ancrés sur leur raison d’être, la proximité ; focalisation d’Unibail sur les lieux de destination ; radicalité des concepts innovants, avec souvent le prix et la rapidité au cœur de la promesse…
Le lancement de projets ambitieux de transformation, tels ceux que nous menons actuellement avec Les Mousquetaires (transition digitale), Camaïeu (Vision Magasin 2025), Euromaster (stratégie digitale et CRM), etc.

3 urgences :
Clarifier la transition digitale et plus largement la transition technologique : si le « pourquoi accélérer » ne fait plus débat, le « sur quoi accélérer » reste souvent un dilemme, et le « comment accélérer » une énigme
Clarifier la roadmap datas : les résultats de l’étude conduite par Diametrix sur les priorités datas des retailers montrent à quel point la cible reste floue, et le chemin plus encore
Clarifier les organisations pour mettre en œuvre efficacement ces priorités

Comment procéder concrètement ?

1. Baliser le terrain de jeu. Au-delà des évidences (site marchand, CRM…), les roadmaps digitales et datas concernent potentiellement toutes les composantes du modèle opérationnel.
Ex : la transition digitale ne peut ignorer la plateformisation des business models, les enjeux du paiement, l’opportunité de coconstruire avec les clients (et les employés), le digital instore, le dernier kilomètre… pour les Mousquetaires, nous avons ainsi identifié une trentaine d’enjeux, dont aucun ne semble a priori superflu
Ex : en matière de datas, même approche : au-delà des usages évidents (CRM, parcours clients…), les meilleurs paybacks de la data résident souvent dans la prévision des ventes, l’optimisation du pricing ou des gammes, l’affinement du maillage de réseau, etc. Au total, 22 usages de la data sont évalués dans l’étude Diametrix (et ce sans inclure les sujets back office !).

2. Benchmarker le champ des possibles par le décodage des meilleures pratiques d’autres retailers, et par recensement des technologies et solutions existantes ou émergentes. Analyser ce qui est possible ne donne jamais de réponse sur ce qu’il faut faire, mais aide à comprendre ce qui est possible. En cette période d’innovation technologique débridée, cela incite aussi à « oser », à imaginer des applications radicales que la simple recherche d’amélioration de l’existant n’aurait pas identifiées.

3. Evaluer chaque champ d’application : cohérence avec la stratégie globale et les atouts concurrentiels ; impact potentiel sur le modèle économique ; degré de maturité à date ; coût (direct, mais aussi coûts de complexité) et difficulté (technique, opérationnelle, culturelle) ; etc. Sans surprise, les sujets à fort enjeu économique sont rarement les moins complexes et les moins
exigeants !

4. Prioriser les investissements. Tout semble important, voire nécessaire… et pourtant, impossible de tout faire en même temps. Faut-il mieux distribuer des tablettes aux vendeurs, investir en trafic, replateformer, créer une communauté, lancer une marketplace d’enseigne ? Faut-il mieux s’équiper en vision unique enrichie du client, adopter un pricing dynamique, se doter d’un moteur de recommandation à très forte prédictivité ? Choisir c’est renoncer : c’est douloureux, et c’est indispensable. Au final, la priorisation consiste souvent à se demander « à quoi puis-je renoncer sans affaiblir l’ensemble de ma stratégie » ?

5. Traduire cette priorisation en roadmap, intégrant les adhérences entre projets et les délais de développement. En gérant le bon degré d’agilité : avancer vite avec des POC, oui ; multiplier les tests qui dispersent l’énergie, sont rarement conclusifs et parfois difficiles à réintégrer dans la stratégie, non !

Traduire la roadmap en organisation. Faut-il un patron digital au sens large (en charge de la transition digitale) ? Ou un patron e-commerce focalisé sur les opérations ? Quel partage des rôles entre marketing, CRM et digital ? Qui est garant in fine de l’expérience clients omnicanal ? La data est-elle un sujet régalien (pas trop loin du DG), un sujet technique (donc à la DSI), un sujet métier ? Faut-il une équipe de data scientists centralisée, ou des data scientists au sein de chaque service ? Faut-il recruter au risque de se tromper, ou externaliser au risque de ne pas capitaliser ? Il n’existe aucune réponse générique à ces questions – ni aucune réponse définitive. A tout le moins, il faut de la clarté, du décloisonnement et du pragmatisme. Et puis de l’argent, aussi…

Ce n’est que sur base d’une roadmap raisonnée que les dirigeants pourront passer d’une posture réactive (répondre aux multiples sollicitations non priorisées) à un véritable pilotage de la transition.

Truismes que tout cela ? Sans doute… Mais alors pourquoi cette priorisation digitale et data n’est-elle pas déjà réalisée chez tous les retailers ? Aucun de nos clients n’a, disons-le sans fard, une vision claire et stabilisée sur tous ces sujets. Du moins quand ils commencent à travailler avec nous… après en principe, ça va mieux ;-).

Au final, et c’était clair durant Retail Project, tout cela passe par un engagement direct des dirigeants. Certes, ils sont rarement en zone de confort dès qu’il s’agit d’arbitrages digitaux ou technologiques. Certes, ils n’ont pas vocation à devenir des experts de ces sujets complexes. Mais ils ne peuvent plus s’exonérer de les comprendre. Puisque la transition digitale impacte le cœur de métier (et plus seulement la BU e-commerce), elle intègre du même coup la fiche de poste des dirigeants. Rien d’insurmontable : il faut surtout réapprendre à apprendre, avec le bon dosage d’humilité et d’exigence (zero bullshit !).

Avanti ! On va bien s’amuser…

mardi 6 février 2018

A quoi peut bien servir un showroom pour un distributeur ?


Showroom de Maison du Monde, Paris 7ème, ouvert fin 2017
Visite du showroom ouvert par Maisons du Monde rue du Bac, en plein centre du Paris chic version rive gauche. Je m’y rends avec mes collègues de Dia-Mart Consulting, certain que je vais profiter de leurs considérations inspirées sur les nouveaux formats/modèles de la distribution.

Surprise (enfin demi-surprise) après la visite, la synthèse s’avère délicate. Si certains apprécient l’initiative, d’autres s’interrogent sur sa pertinence.

Pour comprendre, disons que le showroom Maisons du Monde porte bien son nom. Derrière une étroite vitrine, il propose une enfilade de pièces, décorées selon diverses thématiques avec les articles du catalogue, gros et petits. Dans chaque espace, un canapé, des fauteuils, une table – la cuisine – un lit – la chambre à coucher – le tout bien dressé, bien coordonné et bien accessoirisé par les mille et un petits objets qui viennent rendre l’ensemble chaleureux et sensible. Dans le principe tout est à vendre, mais rien n’est à emporter. La totalité de la gamme n’est évidemment pas exposée et l’aide au choix (argumentation, variantes, options potentielles…) reste à l’état de devinette. C’est beau, bien éclairé. C’est déjà ça.

 Mais pour quel bénéfice ? Pour les clients ? Pour Maisons du Monde ?

Pas grand-chose disent les grognons qui déplorent :

  • Le manque de branding de l’espace, l’enseigne étant quasi absente une fois la porte franchie.
  • La proximité avec les – vrais – magasins parisiens (celui des Halles est à quelques stations de métro) qui offrent beaucoup de petites références en décoration, accessoires, arts de la table… immédiatement disponibles, mais aussi la possibilité de commander les plus grosses pièces,
  • Le manque de revendication du service « aide à la réalisation de votre projet » qui est supposé donner sens au showroom mais qui n’est pas du tout intuitif,
  • L’absence de matérialisation d’une extension de l’offre à partir des pièces aménagées, qui serait un démultiplicateur de l’attractivité,
  • La faiblesse des leviers digitaux, qui arrivent très tard dans le parcours et de façon très paradoxale sous la forme d’un grand écran tactile, peu compatible avec la notion de « projet personnel » du fait de son format comme du fait de son emplacement,
  • La frustration engendrée par l’impossibilité d’emporter la moindre bougie, le moindre porte-savon, alors que les présentations sont très tentantes.
Heureusement les optimistes trouvent des arguments en défense :
  • Un format qui assume le showrooming, entré dans les mœurs des consommateurs en même temps que le commerce en ligne,
  • Une mise en condition très proche de l’usage de destination, dans un volume qui correspond littéralement à un appartement parisien,
  • La création de conditions propices à l’échange et au conseil, sur les postes de « conception » des vendeurs qui permettent de visualiser les modèles en situation en 3D. Le calme qui sied à une séance de vente conseil tranquille et individualisée, guère imaginable dans un point de vente ordinaire. 
  • Une agréable ballade immersive dans le catalogue, dans un quartier où il n’est pas question d’ouvrir un magasin de grande surface.
  • La présence d’une matériauthèque aves des échantillons de tissus, de bois, alimentant l’idée de déco à la carte.
Cette perception contrastée illustre évidemment la difficulté à faire l’unanimité quand on sort des sentiers battus. Et la période dans laquelle est entrée la distribution, incitant à la prise de risque pour adapter les modèles aux nouvelles attentes et aux possibilités ouvertes par la digitalisation, va forcément être riche en débat.

Mais au-delà de cette synthèse facile, le showroom Maisons du Monde illustre 2 considérations.

  • Radicalité : Inventer un nouveau format, un nouveau modèle, une nouvelle expérience client impose d’aller jusqu’au bout de la démarche. Ce showroom pourrait être formidable avec des applications digitales adaptées au mode projet, une surreprésentation de l’échantillonnage, des postes de conception théâtralisés, voire surdimensionnés, des recommandations de style exprimées par les experts de l’enseigne, une tribune offerte à la communauté des clients, etc. Et pas juste les mêmes étiquettes de prix que celles utilisées dans les magasins.
  • Test and learn : A ce jour, aucun distributeur n’a trouvé de recette magique pour faire cohabiter son modèle historique avec un modèle rupturiste. La seule bonne stratégie consistant à essayer, être en mode R&D force le respect et la bienveillance. De ce point de vue, le 100 rue du Bac est un beau terrain d’expérimentation pour Maisons du Monde, mais aussi pour ceux qui voudraient s’en inspirer. Charge à eux de relever le défi permanent de l’identité, du sens, de l’orientation client et de la qualité d’exécution…