lundi 15 juin 2015

Tesco : comme un goût amer de déjà vu



Tesco a été dans les années 2000 le distributeur le plus admiré au monde, considéré comme la référence absolue à de nombreux égards :


  • Des gains de parts de marché rapides sur un marché domestique pourtant déjà saturé, et ce malgré l'arrivée de Walmart en Grande-Bretagne
  • Une stratégie "multiformats-mono-enseigne" qui a inspiré nombre de concurrents, dont Carrefour
  • Un leadership écrasant dans le e-commerce alimentaire avec son modèle de picking en magasin
  • Des investissements pionniers dans la connaissance clients (via le partenariat avec Dunnhumby), supposés permettre une optimisation du marketing de l'enseigne et des politiques commerciales
  • Une expansion internationale ambitieuse notamment en Europe centrale ou en Corée du Sud, et surtout une offensive audacieuse aux USA
  • Etc.
Quelques années plus tard, Tesco a remplacé Carrefour au rang d'homme malade du commerce mondial. Tandis que l'effet Plassat commence à jouer à plein chez le champion français, Tesco accumule les agonies :
  • Pertes abyssales et recul des parts de marché sur son marché domestique, au profit d'enseignes plus agressives en prix
  • Difficultés des grands formats Extra, recentrage de l'expansion sur les formats de proximité
  • Arrêt des diversifications vers les services et métiers connexes, recentrage sur le métier de base
  • Cession des parts dans Dunnhumby et réduction des investissements en marketing clients
  • Échec cuisant et retrait des USA, mise en vente des activités coréennes, vente par appartement (non officielle à date) des activités en Europe Centrale…
  • Crises de gouvernance à répétition, scandales financiers et comptables, etc.
Que s'est-il passé ? Comment le distributeur le plus admiré du monde a-t-il pu connaître une telle descente aux enfers ?
Il y a comme toujours plusieurs explications, mais toutes sont filles d'une même mère : l'arrogance.

J'ai eu la chance de travailler avec Tesco au sommet de sa gloire, au tournant du siècle. Les dirigeants d'alors, inquiets de l'arrivée de Walmart et du durcissement des prix dans leur pays, nous avaient demandé de les aider à clarifier leur stratégie de "combat". J'avais été frappé, non pas par leur capacité d'innovation ou leur expertise, mais par leur cohérence. Tesco était tout simplement une entreprise admirablement managée : ils identifiaient clairement les questions travaillaient avec méthode à leur instruction ; confrontaient leurs points de vue sans s'épargner mais respectaient ensuite strictement la ligne définie ; suivaient l'implémentation avec une rigueur inconnue des latins. En bref, ils réfléchissaient en sachant écouter, décidaient après mûre réflexion, et appliquaient pour de vrai leurs décisions. Autant dire, une entreprise exceptionnelle :-)

Et puis…
Et puis, ils sont devenus arrogants et ont cru qu'on pouvait envahir le plus grand pays du monde "from scratch" et tailler des croupières à Walmart, qui comme chacun sait est un novice incompétent en matière de retail.
Et puis ils ont cru qu'ils étaient devenus une "love brand" et que leur sophistication et leurs milliards de profits les autorisaient à remonter leurs prix, à ne plus être leaders du combat pour le pouvoir d'achat.
Et puis ils ont cédé aux mirages technocratiques du big data et des process, et cru que cela pouvait remplacer une orientation clients authentique et "vécue".
Et puis ils sont devenus gros, lourds, rigides, avec des dirigeants moins proches du terrain et de la vie réelle.

Vieillie histoire, en somme. Qui rappelle furieusement les déboires de Carrefour dans les années 2000. 
La stratégie du "back to basics" de G.Plassat ne donne pas le cap pour les 10 prochaines années – mais elle a remis Carrefour en ordre de bataille, recentré sur ses fondamentaux : les clients, les hommes, les prix, les produits, les magasins…

Rien n'est perdu pour Tesco, qui reste une formidable entreprise : on leur souhaite sincèrement de trouver leur Plassat.

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