vendredi 5 juillet 2013

Distribution alimentaire : quelle vie après le Drive ?



Le drive alimentaire se développe à un rythme effréné. Moins de 10 ans après l'invention du format, on en compte déjà plus de 2500. A tel point que les législateurs veulent réguler cette explosion, et que les distributeurs s'inquiètent pour le trafic en magasin. Qu'en est-il ? y a-t-il une vie après le Drive ?

Les législateurs veulent encadrer les drives, accusés de constituer une concurrence déloyale "Amazon like" : ils n'ont pas besoin d'autorisation préalable en CDAC (Commission Départementale d'Aménagement Commercial), car considérés comme des surfaces de stockage et non de vente. Ils échappent à certaines taxes commerciales, et les drives solos relèvent même d'une autre convention collective, moins coûteuse pour les entreprises.

Qu'il s'agisse de corriger un manque à gagner fiscal, d'assurer les équilibres commerciaux (a-t-on déjà vu un Gouvernement s'attacher à protéger les hypermarchés ??) ou de céder aux vieux démons du colbertisme planificateur, peu importe : il y aura, c'est certain, une régulation… tardive, puisque le pic de la vague est déjà derrière nous.

De quoi parle-t-on au juste ?


Ces débats ont souvent manqué de clarté, car ne distinguant pas assez les différents types de Drive, fort différents :
  • drive solo, non associés à une grande surface
  • drive implanté sur le parking d'une grande surface, dits adossés
  • drive piéton, avec retrait par le client à un comptoir ou en caisse centrale 
Un grand nombre de drives sont piétons - en réalité, pas vraiment des drives ni un nouveau format de distribution, mais plutôt un service de retrait en magasin d'une commande en picking, préparée directement sur place (de la "réservation" en langage crosscanal). L'intérêt (et la faisabilité technique) d'un encadrement législatif semblent nuls. Ils sont peu coûteux en investissement (pas de bâtiment dédié) mais coûtent cher en exploitation (faible productivité de la préparation de commande : 40 mn en moyenne). Ce modèle est surtout adapté aux supermarchés, avec un faible nombre de commande journalier. 

A l'opposé, les Drive solos sont un vrai nouveau format. Combinant clientèle de proximité et flux domicile-travail, ils deviennent souvent "magasin principal" des clients. Malgré des investissements élevés (terrain, bâtiment et stock dédiés… 2 M€ hors foncier), ils bénéficient d'un modèle économique attractif au-delà de 4 M€ de CA – accessible seulement sur les bons emplacements. La question de leur rentabilité est réelle compte tenu du grand nombre de créations pas toujours bien situées, mais la cannibalisation des magasins existants n'est pas plus forte que si on créé un autre magasin. Les questions sont donc classiques : vaut-il mieux créer un nouveau supermarché ou un Drive ? Quelle est la durée du payback ? etc. 

Enfin, les Drive adossés combinent les inconvénients : investissements lourds, consommation de places de parking, et surtout forte cannibalisation avec le magasin (entre 30 et 70% des ventes du drive selon les sites). Avec une rentabilité si douteuse, pourquoi compte-t-on aujourd'hui tant de drives adossés (1350) ? Pour renforcer les sites et éviter de rester le dernier magasin d'une ville à ne pas en proposer, ce qui détournerait les flux clients vers d'autres sites.

Les Drives détruisent de la valeur


Ces trois types de drive ont des points communs, qui au-delà de leur rentabilité directe, inquiètent les enseignes : 
  • Déconsommation : en donnant aux clients un meilleur contrôle de ses courses, en diminuant l'exposition à la tentation et aux stimuli, en réduisant la visibilité des marques au profit des marques propres (poids des marques propres en drive supérieur de 10 points aux magasins), les Drives induisent au final une baisse des dépenses annuelles des clients.
  • Détournement des flux : une fois le "fond de placard" acheté au Drive, nombre de clients préfèrent compléter dans la proximité ou au marché pour les achats de produits frais traditionnel (peu achetés online), pénalisant les grandes surfaces en termes de trafic et de ventes sur les produits les mieux margés. A l'extrême, certains clients abandonnent les hypers pour les remplacer par une combinaison "drive + commerces spécialisés".
  • Jeu coûteux à somme nulle : quand bien même cet effet serait maîtrisé, au final, quand tous les magasins auront leur drive, les dépenses totales des clients n'auront pas augmenté et tout le monde aura des coûts en plus !

Faut-il en déduire que la révolution Drive était contre-productive ? Question sans intérêt. Les Drives sont là, il faut apprendre à vivre avec - autrement dit, faire évoluer les magasins et le marketing des enseignes de manière à protéger les magasins. Pour cela, encore faudrait-il disposer d'une compréhension intime des changements induits par le drive dans les comportements d'achat.

Les enseignes avancent sans boussole


Etrangement, aucune enseigne ne connaît précisément les réponses à quelques questions simples (dixit Gérard Castries, ex Dr marketing de Carrefour, plutôt bien placé pour en parler !) :
  • Combien de clients drive ont cessé de fréquenter le magasin ? combien le magasin a-t-il gagné de nouveaux clients grâce au renforcement de son site apporté par le drive ? quel impact in fine sur le nombre de clients, le CA, la masse de marge ?
  • Comment les clients mixtes ont-ils modifié leur utilisation du magasin : fréquence de visite, pénétration rayons, panier par rayon, types de produits achetés ?
  • Quels rayons souffrent le plus de la cannibalisation d'une part, des détournements de flux d'autre part ? qu'est-ce qui continue à faire entrer les clients dans les magasins ?
Le tout bien entendu croisé par type de drive, type de magasin, type de site et type de clients. L'excellent travail de suivi du phénomène Drive réalisé par Olivier Dauvers ou LSA ne suffit pas : il devrait être complété par des analyses "clients" systématiques au sein des enseignes, combinant études quantitatives et tracking comportemental via les bases de fidélité.

Compliqué ? Un peu. Nécessaire ? évidemment. 

Il ne suffit pas de dire "il faut améliorer l'expérience clients pour donner envie de venir en magasin, notamment en frais trad". C'est évident, et c'est loin d'être suffisant face à un changement aussi structurant. L'émergence du Drive est le bouleversement le plus important depuis 20 ans dans le paysage commercial – depuis l'entrée en force des hard-discounters : cela mérite un pilotage fin basé sur une connaissance clients factuelle et quantifiée. Il va être temps de s'y atteler !

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